HISTORIQUE par Norbert OLSZAK : "La Capacité en droit : deux siècles de promotion sociale"

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

          Dans sa description de l'oeuvre napoléonienne, notre collègue et ami Romuald Szramkiewicz a consacré un chapitre à la "société élitiste juridiquement encadrée" pour nous présenter à la fois les grands codes et les notables. Ceux-ci étaient souvent au service de l'État et pour garantir leur compétence le Premier Consul avait rétabli les Facultés de droit, en même temps qu'il préparait la promulgation du Code civil. Nos Facultés ne s'adressaient alors qu'à quelques milliers d'étudiants, issus de couches suffisamment aisées pour pouvoir affronter les frais de trois à quatre années d'études et les droits de scolarité très élevés. En somme, l'élite provenait des élites.

          Cependant, dès le départ les Facultés de droit comprenaient une filière particulière qui ouvrait un accès à certaines professions juridiques d'une manière moins difficile et moins onéreuse. Ce régime permettait d'obtenir la capacité en droit et de nos jours encore la plupart des Facultés offrent la possibilité de suivre des cours du soir pendant deux ans en vue de ce diplôme qui s'adresse à toute personne intéressée, sans autre condition que d'être âgé d'au moins dix-sept ans. Ces caractéristiques en font manifestement une institution de promotion sociale tout à fait originale, voire unique en son genre depuis toujours.

          Certes, sous l'Ancien régime, les Facultés de droit connaissaient déjà le titre de gradué, plus simple que celui de licencié et suffisant pour l'accès aux juridictions subalternes, mais cela se passait dans un contexte où l'ensemble des études juridiques n'était qu'une aimable sinécure. Depuis la constitution de l'Université napoléonienne, il n'en est plus de même et l'acquisition des grades se fait au terme d'un cursus rigoureux qui commence par le baccalauréat. L'accès direct aux Facultés sans ce diplôme était tout à fait exceptionnel et le reste de nos jours encore. `

          Toutefois, l'accroissement du nombre de bacheliers et la tendance générale à l'allongement de la durée des études ont quelque peu marginalisé la capacité en droit et beaucoup de Facultés se plaignent à la fois d'une crise de recrutement et d'une organisation un peu désuète de cette filière. En 1985, un congrès national a été réuni à Paris sur l'initiative d'associations d'anciens étudiants pour examiner les réformes nécessaires, puis un rapport sera rédigé en 1993 à la demande du Ministre de l'éducation nationale par le Professeur Édith Jaillardon, Doyen de la Faculté des sciences juridiques de Lyon, mais la capacité en droit a ensuite souffert des turbulences des nombreuses réformes du premier cycle qui ont ignoré ce diplôme par trop méconnu. Il a sans doute le tort de ne pas être désigné par un sigle, même particulièrement inélégant comme le D.E.U.G. Pourtant la réflexion doit continuer et ces quelques pages voudraient y contribuer en posant quelques jalons dans l'histoire de cette formation qui a, malgré sa modestie, participé à la promotion des élites avec les avocats, notaires, maîtres de conférences, professeurs agrégés et même recteur d'académie qui en sont issus.

          Cependant, cette dimension n'est apparue que progressivement et pendant un bon siècle la capacité n'était effectivement qu'un "simple certificat", insuffisant pour jouer pleinement ce rôle (I). Ce n'est qu'après des réformes de la Belle époque que le diplôme sanctionnera une formation assez complète et que le terme de "capacitaire" fera son entrée dans le dictionnaire, témoignant ainsi de la nouvelle importance sociale de notre filière (II).

 
1 – Un "simple certificat" (XIXe siècle).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

          Pendant le premier siècle d'existence de la capacité en droit on utilisait presque systématiquement des expressions diminutives. Les textes parlaient de "simple certificat" pour le distinguer de la licence et pour désigner les étudiants on disait qu'il s'agissait de "ceux qui n'aspirent qu'au simple certificat", comme si leurs ambitions étaient réduites. Ce caractère subalterne résultait d'une organisation assez défectueuse mais aussi d'un intérêt relativement limité.

A) Une organisation presque inexistante.

          Si la capacité en droit apparaît effectivement dans la grande loi sur les écoles de droit du 22 ventôse an XII (13 mars 1804), ce n'est que sous la forme d'un examen particulier ouvert aux candidats qui auront suivi les seuls cours de législation criminelle et de procédure civile et criminelle. En fait on se contentait d'isoler deux éléments d'un programme d'ailleurs assez réduit par rapport à nos conceptions actuelles : en 1ère année, on étudiait le droit civil et le droit romain (avec des examens en latin pour cette matière, jusqu'en 1840), en 2ème année, le droit public français et la législation criminelle et la procédure civile et criminelle s'ajoutaient au droit civil et enfin en année de licence nous trouvions à côté du droit civil, toujours présent, la même matière "dans ses rapports avec l'administration publique", c'est à dire en fait du droit administratif.

          La capacité ne correspondait ainsi qu'à deux cours de 2ème année, mais cette petite partie du programme avait la caractéristique d'être essentiellement "pratique et positive", selon les instructions des inspecteurs généraux. Et ce sont d'ailleurs des perspectives pratiques qui ont justifié la création de ce certificat spécial. En effet, la loi du 22 ventôse an XII sur les écoles de droit a réglementé en même temps les conditions d'accès aux différentes professions judiciaires, ce qui montre bien le caractère éminemment professionnel de nos Facultés. Dorénavant les magistrats et avocats devaient être licenciés, mais les avoués pouvaient se contenter de la capacité.

          Selon le Conseiller d'Etat Fourcroy, qui avait présenté le rapport sur cette loi, ces exigences de formation et de titre allaient permettre aux citoyens d'avoir des juges et des défenseurs dignes de la confiance publique. Cependant, comme les avoués étaient essentiellement chargés de la procédure, une formation limité pouvait suffire. Mais le programme de la capacité était tout de même un peu trop réduit et on va se préoccuper de le renforcer, mais de manière assez incohérente d'abord.

          En effet, l'ordonnance du 4 octobre 1820 exigera que "les étudiants qui ne se proposeront que d'obtenir le certificat de capacité" choisissent en plus un autre cours, soit le nouveau cours de droit naturel, soit le cours de droit civil de 1ère année. C'est en fait assez étrange car ces deux cours n'ont rien de pratique, le programme de droit civil de 1ère année consistant en une présentation générale du Code. On aurait plutôt vu imposer le nouveau cours de droit commercial créé par la même ordonnance. Mais la réforme de 1820 n'avait pas ces soucis pédagogiques : son objectif était surtout de renforcer la discipline dans les Facultés de droit où les étudiants désoeuvrés commençaient à avoir de mauvaises idées politiques. Le renforcement du programme avec un enseignement des grands principes, selon une vision officielle toujours contrôlée par des inspecteurs, permettrait d'occuper sainement cette jeunesse.

          La Monarchie de Juillet procédera un peu plus rationnellement sur ce point. En effet, en 1838 le gouvernement nomme une Haute commission des études de droit qui se voit confier un vaste programme de réflexion. Parmi les nombreuses questions qui sont posées à ces sages figure l'allongement des études à deux ans pour la capacité et à quatre ans pour la licence. Après de mûres réflexions, la Haute commission en viendra à formuler des propositions assez radicales, fin 1846 : la licence serait exigée pour toutes les professions juridiques et judiciaires, sauf pour les magistrats et avocats qui devraient être titulaires du doctorat ! En conséquence, comme la capacité ne servirait plus à rien on pourra la supprimer. Le Garde des sceaux reçut ces propositions avec prudence et commença par demander des précisions sur les motivations de la réforme en notant que des changements aussi importants méritaient un examen très sérieux. Pour notre capacité en droit ce dernier prendra heureusement un temps assez long —pour les notaires la licence ne sera exigée qu'en 1973, mis à part le cas de l'Alsace-Lorraine— et l'attentisme ministériel sauvera son existence, mais sans réforme elle ne fera guère que vivoter.

          Certes, en 1861 on rajoute encore un cours, mais une fois de plus sans aucune logique car il s'agit du droit civil de 2ème année avec la théorie des obligations tandis que le programme de 3ème année, très pratique avec les régimes matrimoniaux et les sûretés, est laissé de côté. De plus, ce "simple certificat" devient en fait assez lourd avec une seule année d'études sans enseignements spécifiques pour les capacitaires qui sont mêlés aux étudiants de licence. On commence alors à réclamer de nouveau la suppression pure et simple de ce diplôme mal ficelé, fait de pièces et de morceaux rapportés. C'est le cas notamment en 1880 lors de l'examen d'une vaste réforme des études de droit destinée à lutter contre la baisse du niveau amenée par le relâchement qui s'était —déjà— introduit dans les lycées ! Mais finalement le décret du 28 décembre 1880 ne touchera ni à la capacité, ni au doctorat.

          Cet attentisme réitéré ne satisfera nullement les Facultés et en 1895 le Ministère de l'instruction publique devra organiser une vaste consultation de nos établissements d'où il ressortira clairement une préoccupation fondamentale : celle du public d'étudiants qu'il convenait de renouveler et d'élargir si l'on voulait maintenir la capacité en droit. Car en fait elle n'attirait que très peu de monde en raison de son intérêt très relatif.

B) Un intérêt limité.

          Le texte fondateur de l'an XII associait étroitement la capacité en droit à la profession d'avoué et à elle seule. Pour toutes les autres professions, les notaires, huissiers, greffiers, agréés et sans même parler des conseils juridiques, la formation se faisait uniquement par le stage ou par des années de cléricature. Au terme de cette période probatoire, les candidats obtenaient un "certificat de moralité et de capacité" auprès de leur chambre professionnelle et pouvaient acquérir leur charge. Quelques huissiers ou clercs de notaire venaient tout de même suivre les cours en vue de la capacité en droit, mais très peu, tandis qu'à l'inverse beaucoup d'avoués ne se contentaient pas de la capacité et visaient plutôt la licence surtout dans les grandes villes. Il y avait donc assez peu de monde : à Strasbourg en 1851, on compte seulement 5 candidats, qui sont tous reçus, à comparer aux 30 candidats en licence, mais dont 4 seront ajournés.

          Cette évolution s'expliquait par l'origine sociale de la plupart des avoués qui appartenaient à la grande bourgeoisie, en raison de la valeur élevée des offices dans les grandes villes. Leurs enfants pouvaient se payer les trois années d'études en vue de la licence. Car l'enseignement supérieur était loin d'être gratuit. Dans la première moitié du XIXème siècle les droits universitaires s'élevaient à 814 F pour la licence, ce qui faisait 271,30 F par an en moyenne. Pour la capacité il fallait compter 60 F de scolarité, 30 F d'examen et 40 F de diplôme, soit un total de 130 F. Nous étions donc à moins de la moitié de l'année d'étude de licence, mais la somme restait importante si on la comparait aux salaires ouvriers masculins de l'époque qui ne dépassaient guère 2 F par jour ! Et selon les usages du temps, il fallait souvent ajouter à cela le coût des leçons particulières données par les professeurs...

          Ces droits seront d'ailleurs fortement relevés en 1854. Selon le rapport de Fortoul, Ministre de l'Instruction publique, il était absolument nécessaire de lutter contre la pénurie dramatique en bâtiments et matériels qui touchait les Facultés et il était également de "la plus stricte justice d'appliquer à l'amélioration de la condition des professeurs une partie plus considérable du produit des examens qui exigent aujourd'hui beaucoup plus de temps qu'autrefois". Or il est juste que ceux qui "se pressent aux cours des Facultés et recherchent avec ardeur les diplômes qu'elles délivrent parce que ces diplômes ouvrent l'accès d'une carrière lucrative" contribuent dans une plus large mesure aux dépenses de l'enseignement supérieur. C'était particulièrement le cas pour les Facultés de droit car le diplôme de licencié constitue un privilège dont l'État garantit la paisible jouissance. En conséquence le Ministre propose de faire passer les droits de licence à 1100 F au lieu de 814 en précisant que "les jeunes gens qui s'appliquent aux études juridiques appartiennent à des familles aisées pour lesquelles une somme de 300 F dépensée en trois années n'a aucune importance". Cependant, à propos de la capacité, dont la réforme est toujours à l'étude est-il précisé, le Ministre propose de passer de 130 à 245 F sans autre forme de procès, alors même que les considérations sociales pourraient pousser à des augmentations moins fortes que ce quasi doublement.

          L'accès à la capacité est donc de plus en plus onéreux, mais il reste par ailleurs facile car il n'est pas nécessaire d'avoir le baccalauréat ès lettres qui est exigé depuis le décret du 17 mars 1808 pour l'entrée à l'Université. Ce baccalauréat était assez difficile à obtenir ne serait que parce qu'il supposait des études classiques dans les lycées qui étaient peu nombreux. La possibilité de s'inscrire en Faculté sans ce diplôme était donc un avantage précieux mais très rare car en dehors du droit, elle n'existait qu'en médecine pour les études d'officier de santé. Par la suite, dans les années 1850 on rencontrera aussi un "certificat de capacité en sciences appliquées" préparé en deux ans, sans baccalauréat, mais il ne s'agissait que d'un programme de culture générale, sans finalité professionnelle.

          De plus, on avait même permis dès 1813 aux capacitaires de poursuivre leurs études vers le baccalauréat en droit et la licence en validant les examens de législation criminelle et de procédure déjà subis, car il fallait tenir compte de ceux qui s'étaient d'abord dirigés vers une profession pour laquelle la capacité suffisait et envisageaient ensuite une autre carrière ou bien simplement une amélioration de leur instruction et de leur distinction. Mais ce souci très moderne de favoriser les réorientations fut écarté par les préoccupations de renforcement de la discipline générale, qui exigeait absolument la formation classique des lycées, et une ordonnance de Charles X supprimera cette faveur accordée aux capacitaires qui ne réapparaîtra que temporairement à la fin du siècle.

          Il demeure néanmoins la possibilité d'accéder à un diplôme professionnel et donc d'obtenir une promotion sociale pour des candidats issus du terrain, sans formation classique et sans latin, même si cette ouverture ne débouche finalement que sur très peu de choses. C'est sur ces bases insuffisantes que l'on opérera enfin, en 1905, une reconstruction complète de la capacité qui voit alors s'ouvrir sa belle époque.

 
II – Une formation complète (XXe siècle).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

          La réforme apportée par le décret du 14 février 1905, applicable à la rentrée de 1906, donne à la capacité en droit une allure moderne. Cette réforme fondamentale ne subira ensuite que quelques aménagements, en 1932 et en 1956 notamment, ce qui fait de notre diplôme un champion de stabilité !

A) Le décret du 14 février 1905 et le renforcement de la valeur de la capacité en droit.

          Ce nouveau texte qui intervient près de 101 ans après la création de la capacité en droit repose sur de nombreuses consultations des Facultés et des discussions séculaires aboutissent enfin grâce à deux préoccupations nouvelles. D'une part l'on a le souci de renforcer les exigences de diplôme pour l'accès à certaines fonctions ou professions. Par exemple, en 1904, le Parlement s'était inquiété de la formation insuffisante des juges de paix et avait réclamé la possession de la capacité en droit pour ces personnels, ce qui témoigne aussi d'une extension de la place du droit dans la société et d'un éloignement de l'époque où ce juge cantonal pouvait se contenter d'un bon esprit conciliateur et de la connaissance de quelques usages ruraux. D'autre part on constate le développement d'une réflexion poussée sur la formation professionnelle ou sur l'enseignement technique, concrétisée par la création de commissions spécialisées dès 1901 par Alexandre Millerand, Ministre de l'industrie et du commerce.

          Dans ce contexte, la question de la capacité fut confiée au Professeur Adhémar Esmein qui rédigea un important rapport pour le Conseil supérieur de l'instruction publique. Après un rappel historique détaillé, Esmein précise clairement les objectifs de la réforme : il faut dépasser l'aspect d'un diplôme réservé à des hommes voués essentiellement à la pratique et donner une première éducation juridique à ces candidats. En somme, il "faut faire des capacitaires de véritables étudiants". En conséquence, Esmein préconise des études sur deux ans avec des cours spécifiques pour les seuls capacitaires. Le programme sera renforcé avec d'abord une étude complète du Code civil et ensuite des matières nouvelles qui permettent de préparer à des carrières elles aussi nouvelles, avec des options variables selon les projets des intéressés : droit commercial, droit industriel, enregistrement, notariat ou encore, pour Alger, législation coloniale. Et ainsi on pourra exiger la capacité pour toutes sortes de fonctions ou professions comme les notaires, juges de paix, receveur de l'enregistrement, greffier des tribunaux civils ou des tribunaux de commerce.

          Le Ministre de l'Instruction publique, Jean-Baptiste Bienvenu-Martin, reprendra ces propositions d'autant plus qu'il connaît un peu la question pour être par ailleurs avocat et docteur en droit. Ces nouveaux capacitaires seront, à ses yeux, intéressants pour le recrutement des professions juridiques, mais il envisage aussi des débouchés dans l'Administration. Il préconise d'ailleurs d'ouvrir une concertation entre administrations publiques pour fixer une liste des emplois pour lesquels la capacité serait exigée, ce qui reflète les débats de l'époque sur une amélioration du recrutement des fonctionnaires ainsi que sur l'organisation de concours. Enfin il est persuadé que les entreprises privées tiendront compte de ce diplôme en suivant l'exemple donné par les pouvoirs publics. En conséquence il estime que la réforme de la capacité est d'intérêt public et mieux encore "vraiment démocratique dans son ensemble".

          Cette dernière affirmation est peut-être un peu rapide car les droits de scolarité et d'examen restent élevés. Ils sont de 385 F pour deux ans, ce qui correspond à environ 8 000 F de nos jours, alors que nos droits actuels ne sont que d'environ 700 F par an. Mais cette question des droits universitaires n'était alors pas du tout discutée et leur abaissement ne se réalisera que longtemps après la Seconde guerre mondiale, en application du plan Langevin-Wallon de la Libération.

          L'aspect démocratique reposait donc surtout sur cet accès à une partie de l'enseignement supérieur sans baccalauréat, au moment même où d'autres réformes renforçaient le caractère restreint de ces études universitaires, dans une perspective de renforcement de leur niveau. Le nouveau cadre de la capacité se voulait attirant et cette filière redynamisée verra effectivement affluer du monde. Le terme de "capacitaire" apparaîtra à cette époque pour désigner ces étudiants et une première Amicale des capacitaires sera constituée en 1906 à Poitiers. Ce succès exigera quelques aménagements ultérieurs.

B) Les décrets de 1932 et de 1956 et l'amélioration du cursus.

          Sans même chercher des statistiques significatives sur les effectifs, on peut considérer qu'il y avait du monde grâce à un indice révélateur : l'introduction de l'admissibilité. En effet, le décret du 4 mars 1932 ajoute une épreuve écrite éliminatoire aux examens qui n'étaient composés jusque là que d'épreuves orales. Cet écrit de droit civil comporte au minimum trois "questions simples". Ensuite les oraux portent sur des éléments de droit civil, de droit public et administratif et de droit criminel en première année, puis sur des éléments de droit civil, de procédure civile et voies d'exécution ainsi que sur le droit commercial ou l'enregistrement en seconde année.

          Mais la réforme de 1932 va aussi toucher aux programmes en particulier à ceux de droit civil. Un aménagement paraissait nécessaire car en 1905 Esmein avait adopté une solution assez brutale pour répartir les matières entre les deux années : il suffisait de suivre l'ordre des articles du Code, donc en 1ère année, on voyait les articles 1 à 1100 et ensuite on s'occupait des articles 1101 à 2281. En fait c'était tout simplement l'application des principes de l'an XII, quand les professeurs devaient enseigner "dans l'ordre établi par le Code civil", mais cette dernière manifestation de l'esprit de l'exégèse était assez malencontreuse pour la capacité car le programme devenait énorme et peu pédagogique. Un arrêté du 9 mars 1932 apporta des restrictions plutôt heureuses, mais toutes les questions liées au programme n'étaient pas encore résolues.

          Cette réforme plus complète sera l'objet du décret du 30 mars 1956 qui contient les dernières grandes modifications de notre filière avec deux séries de dispositions. La première aménage le programme et fixe les règles que nous connaissons encore actuellement : la première année est consacrée aux bases du droit privé et du droit public et la seconde année comprend des matières plus spécialisées et plus variées comme la procédure civile et les voies d'exécution, le droit pénal et la procédure pénale, que l'on y trouvait déjà auparavant, mais aussi l'économie politique et surtout deux matières à option déterminées par les Facultés selon les besoins professionnels régionaux. De plus des travaux dirigés facultatifs sont organisés pour offrir un enseignement pratique aux étudiants, ce qui est bien le moins dans cette formation qui se voulait depuis toujours essentiellement pratique. L'objectif de ces dispositions est aisément compréhensible : il s'agit de dispenser un enseignement mieux orienté vers des professions plus variées, tout en préparant certains candidats à la poursuite d'études.

          Car le deuxième apport du décret de 1956 consistera à permettre de nouveau l'accès aux études de licence pour les titulaires du diplôme de capacité, en dispense du baccalauréat. Certes, l'on n'était pas encore très généreux car il fallait avoir obtenu une moyenne de 14/20 pour être admis directement en 1ère année ou bien, à défaut, satisfaire aux trois épreuves d'un examen national : dissertation d'ordre général, histoire, géographie. Mais l'ouverture était tout de même appréciable et elle sera assez largement utilisée par la suite ce qui permettra à de nombreux capacitaires de faire des carrières juridiques et administratives prestigieuses. Et c'est ainsi que la capacité en droit conservera et renforcera son aspect original de "plus ancienne promotion professionnelle de la République", marquée par ses caractères de liberté et de volonté, car elle est depuis toujours accessible à tous ceux qui sont animés par le désir de travailler et de progresser dans l'échelle sociale. L'histoire de ces réussites reste encore assez largement à étudier au delà de ces quelques jalons institutionnels, peut-être sous forme de prosopographie en suivant l'exemple magistral de Romuald Szramkiewicz.

Norbert OLSZAK
Professeur à l'Université Robert Schuman de Strasbourg
et ancien Doyen de la Faculté de Droit de Strasbourg

(Etude publiée dans Hommage à Romuald Szramkiewicz, Paris, Editions Litec, 1998, pp. 355-365)


Documents :
Préface de J. Robert (RDP)
Historique par J. Imbert 
(RDP)
Historique par N. Olszak